Intelligence ou esprit critique ? Comparons et cherchons la corrélation

Les personnes intelligentes peuvent, comme n’importe qui, manquer d’esprit critique. Le billet analyse ce qui peut conduire à ce manque . Humilité, curiosité, désir de vérité sont nécessaires pour avoir un sain esprit critique, si utile dans la société actuelle mais aussi pour faire un bon franc-maçon.


Nous avons tous, à un moment ou un autre, été interloqués par une sortie d’un proche, le faisant dégringoler d’un piédestal où  nous pensions qu’était sa place, vu sa sagesse, ou son intelligence, notions que nous mélangeons volontiers. D’ailleurs, les études psychosociologiques le démontrent, il y a une corrélation nette entre la résistance aux fake news et le niveau d’éducation dans nos populations. Et lorsqu’on voit le professeur Luc Montagnier, nobélisé, se lancer dans une diatribe contre tous les vaccins, on se met à interroger sérieusement la corrélation susdite.

Avouons-le, en maçonnerie il nous arrive d’avoir des chocs similaires et de nous demander comment la chose est possible…d’où  ce papier.
Du côté de l’intelligence, on dispose de toute la batterie de tests de QI et des statistiques engrangées depuis sa création au début du 20^e siècle.

Du côté de l’esprit critique on dispose maintenant aussi de tests stabilisés , et depuis peu on se met à creuser les corrélations possibles. La première possibilité concerne les traits de personnalité tels que recherchés par les tests « Big five » ( évaluation en 5 traits principaux : ouverture à l’expérience, conscienciosité, extraversion, agréabilité, névrosisme ). Une relation significative a été trouvée entre esprit critique et ouverture à l’expérience.

Lorsque des personnes de QI élevé passent les tests d’esprit critique, on constate que certaines se plantent, et toujours aux mêmes questions, qui concernent une partie des biais cognitifs. On touche là aux différences entre ce qui est recherché par les tests. Les tests de QI ne vont pas chercher des problèmes complexes, mais vont mesurer la vitesse d’exécution de tâches simples, là où en évaluation d’esprit critique la fiabilité des sources joue un rôle .

Autre différence : le QI interrogera le raisonnement « pur », alors que l’esprit critique soupèse la posture psychologique, comprenant la curiosité, l’humilité et le désir de vérité. Ces trois caractéristiques se rencontrent, ou pas, chez des personnes de tout niveau de QI.

Tiens, « la recherche de la vérité » apparaît en premier dans l’introduction des constitutions du Grand Orient de France.  Maçons, il arrive aussi que nous nous nommions « cherchants » , en soulignant que le cheminement prime le résultat, bref :  l’esprit critique, même s’il n’apparaît pas en clair dans nos textes, est bien une qualité qu‘il s’agit de pratiquer assidûment.

Comment s’en doter ? Bien sûr, le niveau d’éducation aide :  lisons la littérature à ce propos, qu’il s’agisse des travaux sur les biais cognitifs ( système 1/ système 2 de Kahneman ), ou leur implication dans la société ( internet, fakes, … ) , les études psycho/socio/neurologiques…les livres ne manquent pas, à tous niveaux de vulgarisation.

Ensuite, pratiquons, en nous regardant agir nous-mêmes . Comme nous ignorons ce que nous ignorons, la détection de nos propres biais est ardue et requiert beaucoup d’humilité et de volonté. La tentation de se poser en « sachant » inattaquable dès qu’on a quelques connaissances en franc-maçonnerie est un danger mortel pour l’esprit critique, de même que les peurs inconscientes qui incitent à se construire une protectrice forteresse de certitudes.

On a observé que l’esprit critique va généralement croissant avec l’âge, enfin une bonne nouvelle pour les francs-maçons ? Sans doute, mais à regarder au cas par cas !

L’usage de la raison ( alias système 2 ) est consommateur d’énergie et de temps, aussi il faut éviter d’associer l’esprit critique uniquement aux notions intellectuelles ou philosophiques ; afin qu’il soit présent dans tous les aspects de nos vies, il serait judicieux de l’intégrer sous forme d’automatismes  mentaux ( d’où le terme proposé de mindware ):
-          Info marrante ? Ne serait-ce pas une parodie ?
-          Info telle qu’on en aurait rêvé :  vérifions – la deux fois
-          Info tranchée pour contre :  essayons de voir le bilan global pour et contre
-          Info parcellaire : suspendons notre jugement en attendant plus d’infos
-          Etc.

Vous êtes autorisés à critiquer ce modeste papier !

Super papier qui rappelle les fondamentaux de l'esprit critique et rappelle s'il en est besoin qu'on n'est jamais trop humble !
Merci :-)

bien d'accord frangin Luciole, si on est " bien placé" sur une échelle socialement valorisante ( p ex :  occupant un poste dit à responsabilité, d'expertise reconnue, ou de notoriété artistique, etc. ), faire semblant de l'ignorer peut entraîner le soupçon d'une fausse modestie cachant un gros égo.

Mais si on a bien intégré qu'on connaît peu ou pas plein d'aspects de sa personne ( "on ignore ce qu'on ignore" ), et en particulier qu'on est souvent aveugle sur ses travers psychologiques ( "on ne se voit pas fonctionner" ) , là presque naturellement on chante moins haut et c'est ça la modestie vraie...: c'est juste un peu de lucidité concernant les faiblesses humaines

faire semblant de l'ignorer peut entraîner le soupçon d'une fausse modestie cachant un gros égo.
Oui Patos. Mais ne pas faire semblant, c'est prouver que l'égo est énorme...
Alors que faire?

Luciole a écrit:Faire celui qui est "humble" m'a toujours un peu énervé,il y a même en FM la notion de "Plus humble de tous" qui est une forme particulièrement immodeste pour ne pas dire ridicule de complexe de supériorité.
Perso s'il m'est arrivé de trouver certains (nes) très intelligents je n'ai jamais pensé à des termes de comparaison.

Ranger toutes ces catégories dans des casiers bien rangés me parait mettre de coté que nous sommes tous des assemblages d’éléments divers et variés et dissemblables. Desquels peut cependant se dégager une harmonie qui rende la vie plus agréable.(ou pas!)

Je te rejoins mon cher Luciole, je me méfie comme la peste des personnes qui usent de formule telle "en toute modestie" ou "en toute humilité".
L'humilité, par définition, n'a pas besoin d'être spécifiée par l'intéressé. Ceux qui en usent sont généralement bouffi d'orgueil. 

Et c'est en effet un grand écueil de chercher à se comparer, il est bien plus judicieux de chercher à être meilleur qu'à être le meilleur!...

Amicalement.... 

Julien

Le thème de l'esprit critique était la question sociétale étudiée au DH cette année "A t'on encore la liberté de douter aujourd'hui, d'exercer son esprit critique". Je l'ai trouvé passionnante !

Parce qu'effectivement on peut avoir un QI très élevé, être un génie et succomber à des croyances, n'avoir aucun esprit critique.

Les 3 qualités nécessaires à l'esprit critique me semblent vraiment celles que le franc maçon doit développer : la curiosité (chercher), l'amour de la vérité (vérifier, confronter, analyser) et l'humilité.

Il me semble que cette dernière est à développer toute notre vie. Je ne l'entend pas seulement comme de la modestie (qui nous renvoit à la lutte contre l'égo, la fausse modestie) mais comme la capacité à pouvoir toujours remettre en question son jugement, ses connaissances.

C'est dans le monde profane, la capacité à revoir complétement une expertise, à remettre en question un socle de connaissance que l'on a parfois mis 30 ans ou une vie à établir. Et là l'intelligence n'intervient pas. C'est, devant une affirmation qui nous heurte, au lieu de se dire "n'importe quoi, il a succombé au complotisme", "et si...".
Et si j'étudiais l'hypothèse de Montagnié... Cela ne veut pas dire que l'on va se rallier à celle-ci mais on l'étudie sans la rejeter.

Ou plus simple encore : accepter que l'on peut apprendre des plus jeunes, moins "sachants" que nous (et donc abandonner notre position d'ainés qui enseignent). En loge, c'est s'ouvrir à la découverte qu'un apprenti peut nous apporter par exemple.

On voit là qu'il n'est plus question de modestie ou de fausse modestie, d'apparence d'humilité mais juste de pratique de celle-ci

patos a écrit:Les personnes intelligentes peuvent, comme n’importe qui, manquer d’esprit critique. 

N'est-ce pas par manque de temps ou d'envie de se battre (de chercher) que l'on bascule facilement vers ce qui semble être finalement "aussi valable qu'une autre proposition" ?

N'est-ce pas suite aux nombres énormes de fake news et de leurs republications (des fois un peu customisées) que l'on finit par douter de ce qui nous semble être vrai ? Faut-il rester seul sur le bord du chemin ou rejoindre cette impression de normalité générée par la masse ?

Je ne me souviens plus dans quel livre j'ai lu que les scientifiques ne prennent pas le temps de démentir les conneries publiées, sauf lorsque cela prend une proportion dangereuse. 
Exemple donné "la Terre est plate" ; vu que l'on sait qu'elle est ronde, pourquoi passer du temps à essayer de prouver qu'elle est ronde ? 
Et donc les "platistes" vont se conforter dans leurs affirmations et démontrer par le manque de réaction que leurs dires sont exacts. À force de lire que la Terre est plate, de nouveaux convaincus viendront rejoindre les rangs.
C'est pareil en politique, pareil lors des crises sanitaires, pareil sur nos colonnes (hélas).

-" Esprit critique, es-tu là ? Si oui, frappe 3 coups "
-" Plouf Plouf Plouf ... J'ai piscine, revenez plus tard ! "

Dans son bouquin récent " le nouveau désordre numérique " Olivier Babeau écrit :

Descartes supposait dans son fameux Discours de la méthode que la raison était la chose du monde la plus équitablement répartie. Ce n’est pas vrai de l’intelligence. Pour le dire abruptement, cette dernière est corrélée au succès. Notre société égalitariste, qui confond volontiers égalité en dignité et indistinction, ne peut se résoudre à cette inégalité première sur laquelle l’éducation ne peut pas grand-chose. Elle accepte encore moins que ces différences aient tendance, statistiquement, à s’hériter. La dotation d’intelligence que chaque enfant reçoit, pour le dire autrement, n’est pas indépendante de celle des parents. D’où l’accentuation de phénomènes de reproduction sociale déjà favorisés par le cloisonnement des classes et les différences de patrimoines culturel et économique.
Mais l’intelligence seule n’est pas suffisante. Une autre qualité devient nécessaire à l’ère des machines. Et on peut craindre qu’elle ne soit guère plus facile à acquérir si l’on n’en est pas doté. La curiosité ou, pour mieux dire, la volonté d’apprendre. La marquise de Lambert donne le même conseil à sa fille : « N’éteignez point en vous le sentiment de la curiosité ; il faut seulement le conduire et lui donner un bon objet. La curiosité est une connaissance commencée qui vous fait aller plus loin et plus vite dans le chemin de la vérité ; […] il ne faut pas l'arrêter par oisiveté ou mollesse