charité, solidarité, fraternité, amitié...

Dans nos sociétés individualistes, la solidarité, c'est aider ceux qui n'arrivent pas à devenir des individus dans le système, selon leurs difficultés à satisfaire aux attentes qui font tout l'esprit social de l'individualisme. Mis un temps sur la touche, balayés à vie ou retirés volontairement du jeu, ils sont, dans le rouage de l'obligation sociale, les dents cassées (ou sans-dents...). Faire preuve de solidarité, c'est donc appliquer un ciment dentaire. Ce concept d'obligation sociale, c'est quoi au juste ? On peut ainsi le traduire : nos sociétés valorisent au plus haut degré le travail, la liberté et l'égalité des individus. Liberté, égalité, ne manque que la fraternité, et voilà complète la formule à laquelle notre République doit son rayonnement mondial de jadis. Soyons honnêtes, cette formule, sublimement utopique, au sortir de l'adolescence ne nous inspire plus que mépris ; et pour les romantiques d'entre nous, ce sera un désenchantement pareil à celui de James Stewart dans le film Mr.Smith au Sénat, lorsque, l'âme en peine, après s'être frotté au monde, au vrai, brut, sans partage, le personnage revient au Lincoln Memorial relire les phrases de l'illustre président, phrases qui jusque-là l'avaient bercé d'illusions, soudain aussi glaciales dans le marbre qu'un cynique foutage de gueule.

Pour autant, mépris ou désenchantement, l'éveil brutal doit-il inciter au repli sur soi ? Non. L'éveil à la réalité est une arme, ancestrale, pour un combat non moins ancestral – j'aime être simpliste, attention : les riches contre les pauvres. Depuis l'Etat Providence de De Gaulle, les deux camps ont vécu, oui, en meilleure harmonie. La France n'étant pas le monde, elle subit comme tout pays mondialisé la tendance générale. Or aujourd'hui la tendance, nous l'observons, c'est une fracture plus rompue entre les deux camps, avec, au milieu, le cartilage des classes moyennes en perte d'élasticité. La valeur travail bat de l'aile. Les très riches, planant à leur altitude de baudruches gonflées à l'hélium, encore plus intouchables qu'avant, déchaînent les plus vives frustrations notamment auprès des individus qui, ne pouvant atteindre ou crever ces gros ballons dans le ciel, orientent rageusement leurs frustrations tout en bas, de dépit, sur les plus pauvres. Partant, tout s'inverse. La politique, acrobate en sémantique, jette son nouvel usage des mots en pâture. La solidarité devient assistanat. Les pauvres, parasites. Et leur accorder la gratuité à l'entrée des musées, expos, dans les transports, est désormais perçu comme une inégalité. Bref, on marche sur la tête. Liberté, Egalité, Fraternité n'est plus un idéal mais une formule pervertie utilisée à l'envers.

Et la charité là-dedans ? Ben, le mot n'a plus cours. Référencé au secours populaire de grand-papa, il peut à la rigueur encore s'employer quand on se débarrasse d'un vieux frigo moisi chez Emmaüs.

Que nous reste-t-il ? Les yeux pour pleurer ? Pas que. Nous reste l'amitié. Pour cela faudrait reprendre tout depuis le début. Alors, l'amitié, dans nos sociétés individualistes... je vous épargne la suite.