La corrida

Le temps m'a manqué tout à l'heure pour me joindre à Mathieu comme je l'aurais voulu car il a touché, me semble-t-il, le vif du problème en poursuivant dans son intervention l'exemple de l'abattage industriel. Les personnes de sensibilité anti-taurine ont toutes dénoncé le fait que la corrida puisse montrer la souffrance et la mort. Encrenoire, je le crains, va m'accuser d'inverser les pôles, mais voyons les choses en face, n'est-ce pas plutôt notre époque aseptisée qui est suspecte de vouloir cacher la mort à tout prix comme une maladie honteuse ? Je ne parle pas des cadavres dans les jeux-vidéos, sitcoms, tv-films, longs métrages. Je parle de la vraie mort. La corrida montre ça, et comme dit Mathieu, elle le montre sans faux-semblant ; que ce soit la mort du taureau ou le risque permanent de mort pour le torero. Au risque de me livrer à une imitation de Jean-Pierre Coffe, la publicité émanant des industriels de l'agro-alimentaire nous exalte une vie sans risque en mettant dans nos assiettes des animaux nourris aux antibiotiques, des biscuits et chocolats fins farcis à la graisse hydrogénée, sur les étales fruits et légumes arrivent saturés en insecticides, fongicides et herbicides, manger aujourd'hui c'est avaler un cocktail détonant qui explosera tôt ou tard en cancer, Alzheimer ou maladie auto-immune. Et d'un autre côté, aux Etats-Unis, on refuserait au condamné à mort sa dernière cigarette sous prétexte que ça donne le cancer. Où est l'ignominie ? Où est l'horreur ? Où est la perversion ? Alors permettez que certains voient la corrida comme un des derniers bastions où les valeurs éthiques aient encore un sens !

Délicate transition. Heureusement Mathieu à couper net dans l'autre fil. Maintenant que nous avons cessé de nous mordre, comment renchérir sur la corrida ? Ouep... je n'ai pas l'œil fier. Le spectacle que mes camarades et moi nous avons donné, qui aura fait la preuve que les hommes, finalement, malgré le verbe et la capacité de transmettre, sont plus aptes à dialoguer en produisant des cris d'animaux, me laisse à penser que je ne vais pas m'en sortir en vous racontant que la vie n'a qu'un but : aimer. Cela paraîtrait artificiel. Personne ne me prendrait au sérieux. Ah c'est dingue ! L'animal, il faut croire, ne sert qu’à penser l’homme pour le pire comme le meilleur. Tantôt serpent, cochon, putois, fennec, tantôt cherchant à imiter le chant des oiseaux. Hélas pour vos oreilles nous n'avons rien du milan royal, mes camarades et moi, ni de l'harfang des neiges ; rien de la pie-grièche ou de la sarcelle bleue ; rien du garrot d'Islande. Mais tout au plus du gobe-mouche et du butor ! Dans notre brouhaha, avez-vous réussi à capter une petite musique sur le sort des bêtes, les espèces menacées ? Avez-vous entendu une voix vous raconter la corrida, non par un refuge de symbole ou d'esthétisme, mais en vous faisant sentir la puissante drogue des arènes ? Peut-on même se l'imaginer ? Qui a déjà arpenté le vieux Nîmes pendant la Féria, quand les rues grouillent de couleurs, costumes et chevaux sur lesquels les filles en croupe se tiennent au cavalier coiffé d'un sombrero ? Qui a visité Séville, Grenade, Madrid, la Castille, l'Andalousie ? Ce serait un découragement de nous voir ne pas accueillir le soleil d'Espagne dans nos cœurs ! C'est par là qu'il faudrait peut-être commencer. Mettons de côté ce taureau un instant. Nos vagues épidermiques sur le taureau nous ont apporté avec un paquet d'algues le scandale d'un premier acte vaseux. Fleurs détruites par les tempêtes, ce second acte sous le signe du soleil semble moins tragique.