Comment se remettre dans l'Histoire

Nous discutions tout à l'heure autours du barbeuk avec mon père de ses dernières lectures. Il vient d'enchainer deux ouvrages consacrés à Giordano Bruno, ce contemporain à Galilée, qui finit sur le bucher pour ses thèses jugées blasphématoires.
Deux ouvrages, deux interprétations très différentes, voir opposées. D'un coté l'homme est présenté comme un mage révolutionnaire, de l'autre comme un scientifique, un des premiers scientifiques.

Pour apprécier la vie d'un homme, il est primordial de le situer dans son époque et surtout de bien la comprendre, en faisant abstraction de tout ce que la connaissance nous a appris depuis.

Comment est-il possible de savoir comment un homme était perçu voila plusieurs siècles, comment appréhender aujourd'hui, la façon dont les gens pensaient autrefois. N'est-ce pas un travail impossible ?
Dans quel mesure peut on apporter une vérité historique ?

On ne peut jamais prétendre appréhender une vérité historique; on peut tout au plus recouper et varier ses sources.
Il suffit de voir les biographies contradictoires, même contemporaines.
C'est un peu comme se fier au seul Platon pour découvrir Socrate.
Parfois, les réputations se bâtissent sur l'idée fixe d'un seul homme, qui, de bonne foi néanmoins, saisira quelques pans de la vérité.

Ah, voilà une question que je me suis souvent posée pour l'histoire.

Eu à travailler jadis sur un dossier autour de cette question de la légitimité de l'histoire, mais j'ai totalement oublié les noms et les thèses. Cela m'avait plongée dans un abîme de perplexité.

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Extraits:

"L'histoire est fille du récit. Elle n'est pas définie par un objet d'étude, mais par un type de discours. Dire qu'elle étudie le temps n'a en effet pas d'autre sens que de dire qu'elle dispose tous les objets qu'elle étudie dans le temps : faire de l'histoire c'est raconter une histoire.»

- Deleuze dit aussi de Nietzsche qu'il dispose d'une méthode qu'il invente : « Il ne faut se contenter ni de biographie ni de bibliographie, il faut atteindre à un point secret où la même chose est anecdote de la vie et aphorisme de la pensée. C'est comme le sens qui, sur une face, s'attribue à des états de vie et, sur l'autre face, insiste dans les propositions de la pensée.»

Terriblement vaste sujet qui mène sur le terrain de Max Weber notamment et de la philosophie critique de l'histoire (Voir Raymond Aron, Critique de la raison historique).
Au cours de mes études d'histoire, j'ai évidemment tout fait pour me replonger dans les contextes des époques étudiées. C'était plus facile pour le 18ème siècle français, habitant Versailles, que pour la période de la fin de la guerre du Péloponnèse (-404 av JC). Je m'y suis astreint autant que possible de la même façon qu'un de mes amis archéologue taillait des pierres dans des grottes pour retrouver les contraintes des hommes du néolithique. Je faisais griller une lampe à huile, je mangeais le pain avec de la purée d'olive, tout en lisant Lysias. C'est une démarche parcellaire mais qui permet de comprendre une chose essentielle : faire abstraction des contextes anachroniques permet de se rapprocher de l'état d'esprit des anciens, sans jamais se dire qu'ils étaient plus idiots que nous. L'historien doit créer une familiarité avec son sujet, il ne doit plus s'étonner de l'exotisme de l'époque pour garder son étonnement pour ce qui étonnait déjà les contemporains. Et on y parvient. L'anachronisme, voilà l'ennemi. Pour cela l'historien doit moins se poser la question "pourquoi ?" mais porter son attention sur "comment ?". Comment telle situation a pu se produire, comment tel événement s'est enclenché. Le "pourquoi" n'est presque jamais une bonne question historique.